Controverse Bidault-Molotov sur la constitution future de l'Allemagne

4/1947 

(De notre envoyé spécial à Moscou Georges Le Brun Keris)

Le débat sur l'organisation politique de l'Allemagne s'est déroulé depuis deux jours avec une sérénité à quoi nous n'étions plus habitués.

De part et d'autre, on s'est montré conciliant au point qu'on risque de prendre une entente de mots pour un accord sur les thèses.

Le général Marshall, paraît-il, a dit cet après-midi que « l'Union soviétique se rapprocherait du fédéralisme ». Je crains que le ministre américain ne s'illusionne un peu. Dans la conversation qui suivit son exposé, M. Molotov a présenté la Constitution de Weimar comme un point de départ pour la constitution future de l'Allemagne, sinon comme un idéal. La Constitution de Weimar n'avait rien du fédéralisme préconisé par la France ni même les États-Unis.

Que l'URSS tienne toujours à une Allemagne unitaire, un long article de la « Pravda », ce matin, suffirait à le prouver. Au surplus, ce n'est pas un secret que Bidault et Staline ont abordé ce point dans leur récent entretien et qu'ils n'ont pu que constater leur désaccord.

Quant à faire de la Constitution de Weimar un idéal, on ne peut que reprendre les mots de Bidault : « Le spectre de l'Allemagne de Weimar sera envisagé sans sympathie par mon pays. Cette Constitution a mal fini. L'Histoire est un bon juge et, même immérité, un échec n'est pas une garantie de succès. »

Les exposés du général Marshall et de Bevin ont montré au contraire un certain rapprochement avec notre thèse. Mais on peut craindre toutefois chez nos alliés, surtout chez les Russes, une confusion entre la décentralisation administrative et le fédéralisme. Ne finiront-ils pas par s'entendre dangereusement sue cette confusion ?

Mais en réalité, à voir de près les différentes position sur l'organisation future de l'Allemagne, on est encore bien loin d'un rapprochement. M. Molotov a beaucoup insisté sur deux points :

1° L'unification des syndicats.

2° L'unification des partis politiques allemands.

N'est-ce pas la forme sous laquelle les Anglo-Saxons redoutent l'unité politique ? D'autre part, syndicats et partis allemands donnent-ils aussi toutes les garanties nécessaires pour éviter un débat stérile parce que trop vaste ? Georges Bidault a proposé qu'on série les questions. Il a rencontré l'approbation immédiate de M. Bevin. Au lieu de se précipiter sur cette difficulté majeure que représente l'organisation politique future de l'Allemagne, qu'on commence par résoudre, comme une première étape, le problème des administrations centrales.

Beaucoup plus grande sérénité, avons-nous dit ? Nous avons maintenant l'expérience des conférences des Quatre. Quand on y parle de « gros sous », le débat devient plus âpre. C'est au point qu'on serait tenté d'accorder un crédit aux allégations de la presse soviétique selon lesquelles les problèmes économiques de l'Allemagne seraient rendus plus difficiles à résoudre par les agissements de certains groupements industriels  du nord de l'Angleterre. Mais dès qu'on aborde les questions d'ordre politique, aussi diverses que soient les positions, on sent toujours un certain esprit de conciliation.